Apprenants, enseignants et savoir en didactique: un ménage à trois ?

Par Nathalie Dherbey Chapuis

Deux congrès internationaux viennent de se succéder au sein de la HEP Fribourg en ce mois de novembre 2019. Bien que très éloignés par leur thématique affichée, ils posent en réalité la même question. Comment faire évoluer la didactique pour mieux organiser et ainsi rendre plus efficaces les savoirs qu’elle mobilise pour l’apprentissage des élèves ?

Comment se conjuguent outil numérique et didactique ?
Le congrès AUPTIC a dévoilé de nombreux projets dont l’objectif était d’intégrer les nouvelles fonctionnalités de l’outil numérique au service du développement didactique. Certains projets visent à améliorer les performances d’un apprentissage disciplinaire, et évaluent donc l’impact de l’outil sur les performances de l’apprenant. D’autres projets sont centrés sur l’enseignant et visent à favoriser des actions réflexives sur leur enseignement. D’autres enfin cherchent à situer le numérique comme nouvel objet d’enseignement tant au niveau curriculaire et institutionnel, qu’au niveau de la nature du savoir intrinsèque qu’il requière et véhicule. Les outils didactiques transdisciplinaires développés peuvent être directement utilisés en didactique des langues étrangères (classe inversée, pratique réflexive, modélisation de l’environnement personnel d’apprentissage, autonomie de l’apprenant, acquisition par le jeu). Les outils didactiques dédiés à l’apprentissage du français répondent à des problématiques communes à la L1 et la L2 (référentiel de compétences, évaluation des productions et numérique). Toutes ces études interrogent la didactique sur sa capacité à s’approprier de nouvelles potentialités techniques pour se réinventer ou tout simplement exploiter un outil déjà bien implanté dans de nombreuses professions et dans notre vie quotidienne.

Comment s’articulent le savoir enseignant et la recherche en didactique ?
Le congrès « Recherches participatives » semble aborder la didactique sous un axe opposé. La proposition n’est pas d’intégrer un nouvel outil mais une autre démarche d’élaboration du cadre didactique. En effet, les recherches participatives placent l’enseignant au cœur du dispositif. Le chercheur oriente et organise les savoirs pédagogiques des enseignants partenaires pour faire émerger le cadre didactique (voir aussi des exemples dans Babylonia 2/2019). La majorité des projets cherchent à créer de nouvelles ressources disciplinaires et à les rendre disponibles pour la formation continue des enseignants, mais aussi à développer de nouveaux outils didactiques. D’autres projets cherchent à construire des supports de didactique transdisciplinaire qui répondent aux profondes mutations du monde, sociolinguistiques (multilinguisme, migration…) ou technologiques (outil numérique), afin d’accompagner les changements que ces mutations imposent à l’école. La didactique des langues étrangères pourrait, comme en français L1, développer des supports pédagogiques ciblés coconstruits avec les enseignants (didactique de l’oralité, langues et cultures, lecture, orthographe, évaluation par compétence). Toutes ces études cherchent à modifier le processus de la genèse didactique pour la rapprocher de la réalité scolaire. Elles interrogent donc la didactique sur sa capacité à intégrer les mutations de l’espace scolaire induites par les changements rapides et radicaux du monde actuel.

Les deux congrès semblent ainsi par des axes de recherche différents appeler à la même prise de conscience. Les changements sociaux, culturels, linguistiques, disciplinaires et techniques induisent de telles modifications des besoins des apprenants, des enseignants et du contenu disciplinaire que la didactique ne peut être pertinente que par une approche interdisciplinaire des sciences fondamentales et par l’inclusion dans l’ingénierie didactique de toutes les interactions relatives au triangle didactique. La rareté des communications de chercheurs en didactique des langues étrangères, dans les deux colloques, ne signifie pas que notre discipline ne fait pas de recherches, mais révèle sans doute la difficulté de communication entre recherche fondamentale, didacticien, pratique enseignante et apprenants. La mise en place de recherches collaboratives à toutes les interfaces et l’usage de l’outil numérique permettront certainement de surmonter prochainement ces difficultés pour pouvoir intégrer les défis posés par les mutations sociologiques et linguistiques du monde actuel.

 

 

Photo by Jordan Encarnacao on Unsplash

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *