De la recherche empirique à la pratique en classe de langue étrangère et vice-versa, colloque 6 -7 sept. 2024 à Fribourg : En guise de bilan [compte-rendu]

Fribourg RFLPC

Quels dialogues et quels enrichissements mutuels entre la pratique et la recherche dans le domaine de l’enseignement des langues étrangères et secondes ?
Les acteurs·trices de l’enseignement des langues, qu’ils soient enseignant·es de langues, chercheur·es, formateur·trices d’enseignant·es ou qu’ils remplissent plusieurs fonctions à tour de rôle, ont montré lors du colloque De la recherche empirique à la pratique en classe de langue étrangère et vice-versa que les échanges et les transferts de savoirs sont souhaités, activement recherchés et développés dans nombre de directions prometteuses … mais aussi que les embûches demeurent.

L’objectif du colloque multilingue organisé par le Groupe didactique des langues de la HEP de Zurich, l’Institut de plurilinguisme de l’Université de Fribourg et le Centre de didactique des langues étrangères (CeDiLE) était de créer un espace d’échange autour de la problématique des transferts de savoirs entre la formation, la pratique et la recherche. Ainsi, il s’agissait de réfléchir aux besoins communs, aux opportunités, mais également aux difficultés à communiquer les savoirs produits dans ces différents contextes. L’objectif est-il atteint ? En guise de bilan, voici quelques observations inspirées par son déroulement, son programme et les retours aimablement transmis par sept participant·es interrogé·es à l’issue du colloque.

La belle expression de Lukas Bleichenbacher: ‘eher Forschende’ und ‘eher Praktizierende’

L’affluence constitue un premier marqueur : près de 120 participant·es dont la moitié est intervenue avec une présentation, un poster, ou autre. Pourtant, la plupart des personnes interviewées ont déploré que les praticien·nes ne représentent qu’une petite minorité. Sans qu’il soit possible de fournir de chiffres précis, il semble cependant peu aisé d’affecter un unique profil à chacun·e. Enseignant·es-chercheur·es, formateur·trices-chercheur·es, enseignant·es formateur·trices, est-il vraiment abusif de considérer que la majorité des participant·es remplissent ou ont déjà rempli au moins deux rôles ? Eva Wiedenkeller observe que les enseignant·es présent·es ont souvent une activité de recherche et nous pourrions ajouter qu’inversement, une bonne partie des chercheur·es ont aussi (eu) une activité d’enseignement des langues. La réussite des transferts réside-t-elle donc aussi dans la fluidité de rôles et fonctions ? C’est ce que suggère la belle expression de Lukas Bleichenbacher « ‘eher Forschende’ und ‘eher Praktizierende’ », que l’on pourrait traduire par ‘plutôt chercheur·e’ et ‘plutôt praticien·ne’.

Mais ceci ne répond pas à la question du transfert des savoirs entre les personnes qui évoluent dans un environnement de recherche en didactique des langues étrangères et les enseignant·es impliqués dans d’autres domaines (autres disciplines, discours pédagogique, projets d’établissements, etc.). Comment inciter plus d’enseignant·es de langues étrangères à venir échanger avec les chercheur·es? Les personnes interviewées s’interrogent : revoir les canaux de communication, le choix des dates et lieux de tels événements, les formats de présentation ? Impliquer les enseignant·es dans la conception et l’organisation de l’événement ? Mieux prendre en compte les réticences de certain·es enseignant·es ou leur manque d’intérêt pour la recherche ? Tandis que Lisa Singh suggère entre autre de mener une enquête auprès des praticien·nes pour mieux cerner la question, Malgorzata Barras met en avant le potentiel de la recherche de type Design-Based Research (DBR). Nicolas Humbert, enseignant d’allemand à Genève et impliqué depuis peu dans un projet de recherche empirique nous montre un autre obstacle « J’ai été agréablement surpris par cette volonté [des chercheur·es] de travailler main dans la main avec les enseignants. Ce colloque a permis de corriger ma perception du monde de la recherche ». Il convient donc aussi de favoriser les rencontres, les collaborations et les changements de rôle et fonction en cours de carrière pour faire évoluer des représentations limitantes. Cela dit, des voix s’accordent sur un point. Il faudrait que la participation à des débats, conférences et autres activités qui forment et renseignent sur la recherche soient reconnues à part entière dans les cahiers des charges des enseignant·es qui le souhaitent et que ces activités soient encouragées, rétribuées et facilitées dans leur organisation. Le travail de recherche comprend bien, lui, un volet « transfert », pour donner et recevoir, avec les pairs, les professions liées, la relève, etc.

J’ai été agréablement surpris par cette volonté [des chercheur·es] de travailler main dans la main avec les enseignants. Ce colloque a permis de corriger ma perception du monde de la recherche.

Nicolas Humbert

Un deuxième marqueur à souligner est le programme du colloque qui se caractérise par sa richesse tant de contenus que de formats : deux conférences plénières, un symposium, onze posters, une table ronde, trente-deux courtes présentations et deux ateliers. La table ronde a remporté un indéniable succès auprès des personnes interrogées, en grande partie grâce aux propos sans fard de Jonas Schuhmacher, enseignant d’allemand, français, anglais et italien au secondaire. Il a fait valoir le point de vue des enseignant·es passionné·es par leur métier et dont l’engagement s’exprime ailleurs que dans la recherche en didactique des langues. Dans leurs retours, Linda Grimm a particulièrement prisé les présentations des enseignant·es de langue. Veronica Sanchez Abchi a apprécié la « ‘transposition’ des résultats de recherche en pistes pour la pratique » et les « travaux d’ingénierie didactique […] qui montrent comment une réflexion basée sur la recherche devient une contribution concrète à la classe ». Eva Wiedenkeller mentionne les nombreuses impulsions reçues à réfléchir à sa propre pratique enseignante, mais aussi les difficultés de la transposition de pratiques avérées à des contextes différents. Il semble donc que chacun·e ait pu faire son marché, mais que cela nous dit-il sur les transferts et sur leurs formes ? Tentons une petite classification des 49 interventions, sur la base des résumés, selon la manière dont les intervenants abordent la question du « transfert ».
Les intervenant·es réalisent un transfert :

  1. … en communiquant des résultats de recherche empirique qui seront utiles à la pratique et/ou à la formation une fois opérationnalisés
  2. … en présentant un instrument / du matériel / des stratégies d’enseignement pour la pratique selon les résultats de recherche empirique
  3. … en s’engageant dans des projets de recherche empirique basés sur une collaboration (au sens large) entre praticien·es et chercheur·es
  4. …en élaborant et présentant des formats de formation des enseignant·es à même de lier pratique et réflexion théorique et/ou résultats de recherche
  5. …en offrant des formats de diffusion des résultats de recherche aux praticien·nes
  6. …en se prêtant à des débats interinstitutionnels sur des aspects de la question (la table ronde, mais aussi durant les présentations et lors de discussions animées dans les pauses)
  7. …en menant une réflexion globale sur les besoins, les possibilités et les difficultés en termes d’échanges et de transferts entre recherche, enseignement et formation.

Impressionnante vitalité du champ « transfert » et belle inventivité dans la manière de concevoir et jouer son propre rôle dans la communication de savoirs en didactique des langues étrangères ! Complémentaires, toutes indispensables, ces activités reflètent aussi la composition démographique d’un colloque organisé par des instituts de recherche et formation en didactique des langues étrangères.

Mais comment alors mesurer le succès du colloque ? Si on accepte que le « colloque qui résout tous les problèmes » est une chimère, il est incontestable que la réflexion commune a progressé sur les transferts de savoir, les formes d’interactions permettant des transferts, les contenus à transférer ainsi que sur la direction des transferts : de la recherche à la pratique et, autre grand thème du colloque, de la pratique à la recherche. Les participant·es au colloque ont aussi montré des pistes pour repenser les méthodes de recherche et y intégrer plus intimement des praticien·es. Pour résumer cette ébauche de bilan, le colloque a tenu les promesses de tout bon colloque qui se respecte : il a fourni un état des lieux et favorisé la consolidation des projets de transfert actuels grâce aux échanges rendus possibles ; les échanges de points de vue et d’expériences ont suscité une réflexion partagée et soulevé un ensemble de questions.
Vivement le prochain épisode en décembre dans le numéro de Babylonia 3/25, coordonné par Audrey Bonvin et Michael Prusse!

Comité d’organisation du colloque:

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