Vivre avec les défauts du CECR dans un monde plurilingue [Podcast]

Il est devenu impossible d’apprendre une langue étrangère sans y faire allusion. Les « A2, B1, C1 » du CECR (Cadre européen commun de référence pour les langues) jalonnent nos discours au quotidien. Comment utiliser cet instrument dont tout le monde parle sans vraiment en saisir le sens ? Dans un podcast à cœur ouvert, Bruno Maurer critique le CECR tout en proposant de l’adapter pour le rendre plus accessible au corps enseignant comme aux apprenant·e·s. Entretien sur l’évaluation et la didactique plurilingue des langues avec un didacticien et sociolinguiste passionné.

En 2011, il publie Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante. En 2019, avec Christian Puren, Bruno Maurer écrit CECR : par ici la sortie ! Connu pour ses publications aux titres un brin provocateurs, Bruno Maurer offre dans la première partie de ce podcast une vision plus nuancée des enjeux d’évaluation et de didactique des langues étrangères. Dans la seconde partie, il présente son point de vue sur « la didactique plurilingue des langues », à ne pas confondre avec la « didactique du plurilinguisme ».

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Le CECR : un outil qui ne s’adresse pas au corps enseignant, mais à des organismes de certification

Bruno Maurer s’intéresse à l’évaluation en tant qu’un outil accompagnant l’apprentissage et l’enseignement d’une langue. Dans ce podcast, il la distingue clairement du « testing », dont l’objectif est de produire un certificat attestant des connaissances et compétences de communication dans une langue. Il analyse avant tout l’impact du CECR en tant qu’outil voué à orienter le travail des enseignants et des producteurs de manuels de langues. C’est l’aspect « testing » et le caractère peut-être trop technocratique des grilles du CECR qu’il critique le plus vigoureusement. Le CECR, « un objet mal identifié » que « peu d’enseignants ont réussi à lire et beaucoup ont mauvaise conscience de ne pas y être arrivé. » nous confie-t-il durant l’entretien. Bruno Maurer reproche aux échelles de descripteurs d’inclure une énorme quantité d’informations souvent déroutantes pour les enseignant·e·s de langues. D’une part, les descripteurs sont vagues et ne se rapportent pas à des observables précis. D’autre part, le sociolinguiste et didacticien est d’avis que l’accent sur les compétences de communication masque le volet linguistique des apprentissages. Or, inclure la dimension linguistique dans les apprentissages représente un travail colossal pour le corps enseignant ; parler uniquement d’objectifs de communication est une façon d’esquiver les étapes d’apprentissage de la grammaire ou de la syntaxe.

En somme, Bruno Maurer est d’avis que le CECR tend plutôt à complexifier le travail des enseignant·e·s. Il est vrai que les 48 échelles de descripteurs ne les aident pas forcément à structurer leurs enseignements, ni à les insérer dans des contextes d’apprentissage souvent très variés. À qui donc s’adresse le CECR ? Le professeur de didactique du FLE est catégorique :

Le CECR est plutôt fait pour organiser marché de certification plutôt que pour faire une évaluation en cours d’apprentissage

Bruno Maurer

Il ressort en effet du podcast que le CECR pose les jalons d’objectifs d’apprentissage facilement quantifiables à travers des tests calibrés. La production et la compréhension apparaissent dans des sections distinctes, tout comme l’oral et l’écrit. Si la dimension interactionnelle est abordée dans une section du volume complémentaire intitulée « l’interaction » et transparaît dans le concept de « médiation », le didacticien remarque qu’elle n’est jamais testée en tant que telle. Comme le souligne Bruno Maurer, il est plus difficile d’évaluer les dimensions interactionnelles à travers des questionnaires à choix multiples. Le CECR se présente donc plutôt comme un terreau pour créer des tests de langues calibrés et standardisés au niveau international, dans le but de faire gagner du temps aux organismes certificateurs. Il n’aide en tout cas ni à enseigner, ni à apprendre les langues, mais à faciliter l’organisation d’un marché de la certification en pleine expansion, selon Bruno Maurer.

On n’évalue que la production et la réception parce que c’est le plus facile à évaluer. Quand tu as quelque chose de monologal, tu peux facilement proposer des questionnaires à choix multiples et ça passe très bien dans des machines qui vont ensuite évaluer.

Bruno Maurer

Comment vivre avec le CECR ?

Toujours à l’écoute du terrain didactique, Bruno Maurer se rend bien compte qu’il faudra s’accommoder du CECR. Il cherche à souligner que, pour des raisons éthiques et didactiques, il ne faut pas réduire l’évaluation à la dimension test. Selon lui, le testing n’est pas assez proche de la réalité des gens, de leurs situations de communications. Or, les tests, qui s’insèrent dans un marché de certification des langues, ont un impact direct en termes d’accès à un emploi, voire à un titre de séjour. Pour essayer de pallier les défauts qu’il attribue au CECR, Bruno Maurer propose « d’évaluer des agirs sociolangagiers » en reprenant « les termes du CECR », c’est-à-dire « donner une photographie plus précise » des aptitudes d’une personne à déployer son niveau de compétence dans des situations de communication plus spécifiques. Cela permettrait de mieux situer le niveau de l’apprenant·e par rapport à des contextes d’utilisation de la langue et d’éviter de le tester dans des situations qui lui sont inconnues ou qui ne correspondent pas à sa réalité. Cette approche, Bruno Maurer et Anne-Christel Zeiter sont en train de la développer à travers un mandat du canton de Vaud. Dans le podcast, Bruno Maurer raconte comment, tout en reprenant « la philosophie du CECR », ils essaient de créer une grille adaptable aux parcours de formation de personnes migrantes. Cette grille adaptée doit aussi permettre de mieux accompagner des enseignant·e·s de langues dans leur travail. Ils cherchent en quelque sorte à faciliter le travail du corps enseignant tout en fournissant des repères du CECR.

Pour une méthodologie plurilingue des langues

Quand on lui parle de « didactique du plurilinguisme », Bruno Maurer recentre le débat :

le plurilinguisme n’est pas un objet enseignable. Je préfère parler d’une didactique plurilingue des langues.

Bruno Maurer

Cette distinction permet de poser le plurilinguisme comme méthode plutôt que comme discipline. On cherche à « enseigner les langues les unes par rapport aux autres (…) les unes tenant compte des autres. » Dans la seconde partie du podcast, Bruno Maurer revient entre autres sur son expérience de terrain dans des écoles africaines, où il semble inconcevable de travailler dans une seule langue. Évoquant le contexte scolaire africain, il est convaincu de la nécessité d’utiliser des langues locales en tant que langues d’enseignement, celles-ci constituant le « déjà là » selon Bruno Maurer. L’utilisation des langues africaines permet d’avoir des réflexions linguistiques et métalinguistiques dans la langue des élèves, ce qui s’avère notamment utile pour faire comprendre des concepts grammaticaux qui existent uniquement en français (par exemple le genre grammatical en français qui n’existe pas dans certaines langues d’Afrique). Si Bruno Maurer est conscient que certaines pratiques plurilingues sont encouragées aussi dans les écoles d’Europe, il est d’avis qu’un problème entrave toute approche plurilingue en classe :

Durant le 20e siècle, les enseignants ont pris l’habitude d’écarter la langue première des cours de langues.

Bruno Maurer

Selon lui, cette exclusion de la langue première pour mener des interactions presque exclusivement dans la langue-cible d’apprentissage revient à favoriser une forme de monolinguisme et donc, à éviter les réflexions métalinguistiques dans plusieurs langues. Cette philosophie d’enseignement n’est pas propice à développer des pistes didactiques plurilingues. À cet égard, Bruno Maurer esquisse en fin d’interview son désir de développer une didactique plurilingue des langues en Suisse et en Europe, tout en s’appuyant sur son expérience du continent africain.

Biographie de Bruno Maurer

Professeur à l’École de français langue étrangère de l’Université de Lausanne depuis 2019, Bruno Maurer est encore affilié au laboratoire Dipralang de l’Université de Montpellier 3. Il dirige la revue TDFLE (Travaux de didactique du français langue étrangère). Bruno Maurer a vécu et travaillé dans plusieurs pays d’Afrique, dont il connaît très bien les contextes sociolinguistiques et éducatifs. Ses recherches portent entre autres sur les représentations linguistiques, les politiques linguistiques éducatives et les méthodes d’enseignement des langues étrangères.

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3 commentaires

  1. Merci pour cet article et pour le podcast. L’exclusion de la langue première des cours de langue étrangère fait en effet l’objet de débats, seulement, la langue première est souvent utilisée pour faire avancer le cours, parce que l’enseignant a du mal à faire son cours dans la langue cible, que les élèves n’ont pas envie de faire l’effort ou n’y sont pas habitués etc. Le résultat est que le cours de FLE se fait trop souvent presqu’exclusivement dans la langue de l’école…Ce n’est pas l’idée non plus… Tout à fait d’accord pour ce qui est de la plus-value de l’emploi de la langue première au niveau de la réflexion métalinguistique. Idem pour ce qui est de la valorisation de la diversité des langues.

    1. Effectivement, ce n’est pas en ce sens qu’il faut qu’on se voit une didactique plurilingue. La langue première de ne pas être une langue d’enseignement par défaut…

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