Plurilinguisme et minorités linguistiques dans un contexte global : retour sur le congrès de mai 2025 à Davos [Compte-rendu]

Échanges autour des posters: devant l'affiche de Petra Linderoos (Universität Jyväskylä, Finlande)

Du 21 au 23 mai 2025, le congrès international intitulé « Plurilinguisme et minorités linguistiques dans un contexte global » s’est tenu au Centre de congrès de Davos. Organisé par la Haute école pédagogique des Grisons en collaboration avec la Haute école pédagogique de Lucerne et sous le patronage du Consortium international « Le multilinguisme – une chance », ce colloque visait à stimuler les échanges autour des enjeux sociaux et politiques actuels du plurilinguisme ainsi que des minorités linguistiques, tout en abordant la question du rôle des langues dans le milieu éducatif.

Organisé au Centre de congrès de Davos, le colloque a mis en avant une multitude de langues minoritaires et leurs contextes régionaux ainsi que, de manière plus large, les mesures qui existent (ou non) au niveau politique pour encourager le maintien de certaines langues en danger. Le congrès s’adressait en premier lieu à un public de chercheuses et chercheurs, mais aussi à des spécialistes de l’éducation et des politiques linguistiques ainsi qu’à un public enseignant et estudiantin. Le programme prévoyait 7 conférences plénières, 77 présentations orales, 22 posters, 5 workshops, 3 concerts et une discussion littéraire. En parallèle, plusieurs personnes se sont engagées pour accueillir et accompagner le public et encadrer les moments d’échanges pendant les sessions. De plus, différent·e·s exposant·e·s ont animé les couloirs du centre des congrès avec du matériel pédagogique et informatif. Deux films étaient également projetés en boucle tout au long des trois jours du congrès et pouvaient être visionnés par le public de manière autonome. À noter également que le congrès était, en grande partie, interprété en langue des signes internationale et, grâce à une application de transcription simultanée, traduit en plusieurs langues.

Les thématiques abordées étaient variées en allant d’approche globale, telle que la présentation de Kijan Espahangizi concernant l’histoire de la migration en Suisse, à des présentations plus spécifiques, comme la conférence de Evangelia Adamou qui s’intéressait à des phénomènes linguistiques précis. Il sera donc difficile de brosser un portrait exhaustif des contenus et des échanges de cet événement, néanmoins nous tenons à en donner un retour (et quelques impressions subjectives).

Échanges sur de nouveaux concepts: présentation de Kijan Espahangizi (Université de Zürich)

Tentative de synthèse

Pour commencer, nous présentons de manière très synthétique les thématiques de sept conférences qui assuraient le fil rouge du congrès. Ainsi, la conférence d’ouverture, assurée par Ofélia García, posait le cadre d’une éducation bi-plurilingue bienveillante qui accorde de la valeur à toutes les langues du répertoire des élèves. Elle insistait sur l’idée de laisser aux individus la liberté de penser, sentir et « faire » avec toutes les langues qu’ils connaissent (en lien avec les pratiques de translanguaging).
La deuxième conférence était dispensée par Alexandre Duchêne et mettait en avant, sur la base de récits de jeunes migrants, plusieurs enjeux et potentiels risques liés au plurilinguisme. Un des récits montrait en particulier comment le plurilinguisme pouvait aussi constituer un frein dans le parcours d’une personne, par exemple au moment de l’entretien d’orientation de la fin de l’année scolaire.
La conférence d’Annelies Kusters prenait sous la loupe les différents paradoxes en lien avec la langue des signes internationale, par exemple le fait qu’elle peut être à la fois apparentée à une langue internationale de communication (avec des traits similaires à l’anglais comme lingua franca), mais aussi à une langue de contact (comme certains jargons) ou encore à un phénomène de translanguaging (pour plus d’informations, voir article dans Annual Review of Linguistics).
La conférence de Kijan Espahangizi retraçait l’histoire de la migration en Suisse, en particulier depuis les années 1960, et ses évolutions en lien avec les notions d’assimilation et d’intégration. En s’appuyant sur des exemples d’expériences, le conférencier insistait sur l’importance d’une perspective plurielle et holistique pour mieux comprendre les processus migratoires et d’apprentissages langagiers.

Les questions sont transversales et, bien souvent, communes aux différentes régions, bien qu’ancrées dans des contextes spécifiques.

En clôture de la deuxième journée du colloque, Evangelia Adamou a présenté une analyse de langues « moins décrites », en s’appuyant notamment sur le romani, le slave balkanique et l’ixcatèque. Elle a insisté sur le fait que ces langues faisaient partie du « patrimoine immatériel de l’humanité » et qu’il était indispensable (voire urgent) de les documenter pour mieux comprendre certains phénomènes linguistiques encore peu connus (voir article en ligne).
Le dernier jour du colloque, David Kroik a présenté de manière détaillée la situation du Sámi, langue principalement parlée en Norvège, en Suède et en Finlande. Après une phase de ségrégation/interdiction dans les années 1920, cette langue a été reconnue officiellement en 1978 et des projets de revitalisation, notamment s’appuyant sur l’immersion, ont fait leur émergence dans différentes régions depuis le début des années 2000. Ceci fait notamment écho à d’autres situations de langues qui ont connu une évolution similaire, par exemple dans les Andes (cf. Hornberger, 2014), en Suisse (avec les patois) ou en France (avec les langues régionales). David Kroik a en particulier insisté sur les enjeux actuels liés au maintien des langues minoritaires, à la formation des enseignant·e·s et aux besoins des élèves.
En clôture du colloque, Bernard Cathomas a rappelé/décrit l’histoire et les enjeux du Rumantsch Grischun en Suisse et dans les Grisons et ses propos ont été illustrés par des extraits de l’ouvrage Ruschun Grimantsch e Misurana, lus par son auteure Dominique Caglia.

Des efforts de revitalisation doivent être amenés sur ces différents plans pour avoir un impact sur les pratiques.

Nous ne pourrons malheureusement pas rendre compte de manière détaillée des 77 présentations orales qui ont été tenues dans le cadre du colloque, mais nous tenons à souligner certaines des thématiques principales qui caractérisaient le programme. Il a donc principalement été question du lien entre le plurilinguisme et l’école, du lien entre le plurilinguisme et l’identité, de phénomènes (socio)linguistiques, de translanguaging ainsi que de politiques linguistiques et de certains phénomènes liés aux langues minoritaires en particulier, comme par exemple les processus de revitalisation. Nous notons ici la variété des langues présentées/abordées dans ce colloque, avec notamment le sámi, le hawaïen, l’occitan, le patois gruérien, le romanche, le nganasan, l’italien, le portugais et les langues des signes (et bien d’autres encore). Les allers-retours entre réflexions générales et présentations de contextes spécifiques révélaient à quel point les questions sont transversales et, bien souvent, communes aux différentes régions, bien qu’ancrées dans des contextes spécifiques. Enfin, toutes les activités « parallèles » avaient un lien fort avec la thématique des langues minoritaires et permettaient de réfléchir ou d’interagir avec des questions vives et actuelles notamment le statut, le rôle et les enjeux de certaines langues minoritaires. Par exemple, le concert d’Astrid Alexandre à l’ouverture du colloque ainsi que de La Triada (musique traditionnelle romanche) permettaient aux participant·e·s de se plonger dans la langue romanche (et ses variétés) ainsi que dans les préoccupations sociales et historiques ancrées dans le canton des Grisons. Par ailleurs, le groupe Kroatarantata a permis de redécouvrir une langue, minoritaire en Italie, qui est encore portée et utilisée par une jeune génération (lien avec le terme de « néo-locuteur », abordé dans le cadre du colloque). Pour finir, la conversation littéraire entre Vincenzo Todisco et Usama Al Shahmani donnait l’occasion d’entrer, au travers de la littérature et de la poésie, dans la réalité migratoire et plurilingue d’un auteur/traducteur/médiateur culturel.

Échanges autour d’un café   

Un congrès de grande qualité et qui invite à la réflexion, voire à l’action

Le congrès nous a impressionné par ses grandes qualités, sur au moins trois plans : scientifique, intellectuel et organisationnel (tant au niveau de l’organisation des contenus que d’au niveau de l’organisation générale). La grande variété d’interventions a amené le public à réfléchir sur des enjeux actuels concernant les langues minoritaires. Nous faisons ici le choix de mettre en avant trois enjeux (qui nous paraissent particulièrement importants) : l’implication de tous les actrices et acteurs, le travail sur les représentations concernant le bi-plurilinguisme, les chances et les défis d’une éducation bi-plurilingue.
En premier lieu, différents intervenant·e·s ont insisté sur le rôle crucial joué par tout le tissu social dans le contexte des langues minoritaires. En effet, parents, enseignant·e·s, personnalités politiques, spécialistes, personnes intervenant dans la médiation culturelle et/ou médiatique (et bien d’autres encore) contribuent toutes et tous à l’établissement de pratiques qui influencent et forgent les usages langagiers. Il parait donc évident que des efforts de revitalisation (par exemple) doivent être amenés sur ces différents plans pour avoir un impact sur les pratiques.
Ensuite, et comme relevé dans plusieurs communications, les représentations jouent un rôle fondamental sur les usages et la (dé)valorisation de langues minoritaires. Même si l’emprise sur ce point est relativement limitée, une sensibilisation semble importante, notamment via la formation et/ou la vulgarisation scientifique.

Every language is academic.

Ofelia García

Enfin, comme l’ont montré plusieurs conférences/présentations, l’éducation bilingue représente l’un des leviers principaux pour revitaliser/conserver une langue minoritaire. Cependant, différents aspects (notamment didactiques) doivent être pris en compte pour un « effet » maximal.

Nous terminons avec une citation de la conférence d’Ofelia García qui exemplifie et réunit ces trois enjeux : « every language is academic » (voir notamment article de la Revue Language and Education). Cet extrait met en évidence le travail à effectuer à la fois au niveau des représentations, de la formation des enseignant·e·s et du travail autour de l’utilisation de deux (ou plusieurs) langues pour enseigner des contenus scolaires. Ces éléments ne manqueront d’alimenter les débats lors de prochains événements scientifiques, en Suisse ou ailleurs.


Référence bibliographique

Hornberger, N.H. (2014). On not taking language inequality for granted: Hymesian traces in ethnographic monitoring of South Africa’s multilingual language policy. Multilingua, 33 (5-6), 623-645.


(Re)découvrez l’entretien avec Dominique Caglia sur les classes plurilingue des Grisons:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *